C’est évidemment un événement : René Urtreger, qui a joué avec pratiquement toute la scène jazz parisienne de l’après-guerre, de Stan Getz à Dexter Gordon, de Don Byas à Miles Davis en passant par Lester Young, fait escale à Lyon le temps d’un concert. Quasiment 70 ans de jazz qui se déroulent en quartet, le pianiste s’entourant d’un saxophone, d’une contrebasse et d’une batterie.
René Urtreger est à Lyon. Ca se passe vendredi au Bémol 5. Le pianiste arrive pour un concert événement en quartet : piano, sax, contrebasse et drums. Concert unique, sans doute complet. Et il y a de quoi. Et là le doute surgit : doit-on rappeler qui est ce pianiste et quel fût son rôle dans cette scène jazz parisienne qui prit son essor pratiquement en pleine guerre dans une rive gauche qui sortait de sa torpeur ? En tout cas, René Urtreger est au cœur de ce phénomène et de cette histoire et l’un de ses plus grands acteurs. Evidemment on vous citera en priorité son alliance avec Miles Davis le temps d’un film devenu culte (« Ascenseur pour l’échafaud »), sans doute plus pour la résonnance obsédante de la trompette que pour le sage accompagnement qu’apportait le jeune « Français ». Mais d’une certaine façon, tout était dit : dans cette scène jazz concentrée dans quelques clubs et qui vécut un véritable âge d’or dès les années 50, Urtreger s’est révélé incontournable. Partenaire évident de tous ces musiciens américains qui débarquaient à Paris, pour un concert ou pour s’y installer.
Le pianiste a été d’entrée bien adoubé
Pour ce musicien de formation classique, on peut imaginer quelles affres il lui fallut surmonter pour sauter à pieds joints dans ce jazz incertain synonyme de nuits sans fin. Mais l’homme a été d’entrée bien adoubé : Don Byas et Buck Clayton lui ont notamment ouvert le chemin. Et une fois sa réputation faite, le pianiste, a joué avec tous, sideman de rêve d’un Stan Getz déjà au faîte de sa gloire, de Lionel Hampton à Chet Baker en passant par Dexter Gordon, Lee Konitz ou Lester Young. Et donc Miles Davis : au moment où démarre le festival Lumière à Lyon, la musique du film de Louis Male (1), que signe le trompettiste en 1957 et qui embarque notamment dans l’aventure Urtreger et Barney Wilen, se révèle 63 ans après l’une des plus intrusions les plus réussies du jazz dans le cinéma.
Lorsque Urtreger a joué Bud Powell…..en février 1955
Mais ce qui a peut-être encore plus marqué alors les esprits ce fut cet album (toujours disponible) de « René Urtreger joue Bud Powell » enregistré en février 1955 en compagnie de Benoît Quersin à la basse et de Jean-Louis Viale aux drums. Mais déjà quelques mois avant, le musicien s’était fait remarquer en remportant le prix de piano du Tournoi des Amateurs, face notamment à Georges Arvanitas. On n’omettra pas d’ailleurs de se souvenir que, parmi les prétendants en saxophone, figurait cette année-là Raoul Bruckert.
Et puis il y eut l’épisode Claude François
Tout ça pour dire que du trio au quintet, René Urtreger a évidemment tout joué et tout tenté en l’espace de quelque 77 ans. Tout particulièrement, il signera dans les années 54-56 ces fameux « Early Trios » où déjà se révèle cette clarté et cette simplicité du jeu qui vous embarque sans prendre gare vers la mesure suivante. Plus tard, dans les années 80, il reviendra d’ailleurs à cette structure fondamentale avec Daniel Humair et Pierre Michelot. Entretemps, on s’en souvient, le pianiste a bifurqué. Histoire de routine expliquait-il alors, lorsqu’il décide de passer dans un autre monde en rejoignant Claude François. Le choix du chanteur est d’ailleurs révélateur de sa volonté de s’entourer des meilleurs musiciens. On est alors en 1964, au moment où l’artiste va réellement exploser et sortir ce « Comme d’habitude » auquel Urtreger fut d’ailleurs associé.
Tout de même, depuis, et au cours de ces 7 décennies, René Urtreger n’a cessé de jouer. Quelques unes de ses « périodes » sont plus restées dans les annales. Qu’importe. Vendredi soir, il est à Lyon, ce n’est pas si fréquent, en quartet avec un sax (Michael Chéret), une contrebasse (Stéphane Rivero) et une batterie (Matthieu Garreau). Du beau monde aussi pour ce set inattendu.
1) Toute cette scène parisienne de l’époque revit heureusement aujourd’hui dans la collection « Jazz in Paris » où sont d’ailleurs édités l’album « René Urtreger joue Bud Powell » et celui de Miles Davis « Ascenseur pour l’échafaud » dans lequel on retrouve Barney Wilen, Pierre Michelot et Kenny Clarke.
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