Certes, le pianiste est l’un des enfants les plus chéris de Jazz à Vienne. Mais ce concert, qui s’est donné du temps, a permis au quintet pêchu et délicat d’aller et venir dans l’œuvre et l’histoire d’Hancock. Un grand moment.
Il est des concerts, ou des retrouvailles, qui marquent plus que d’autres. Celui qu’a livré Herbie Hancock à l’auditorium de Lyon l’autre soir, mérite sans doute d’y figurer. Les raisons, allez savoir ? La fraîcheur des quatre musiciens qui entourent le quasi-octogénaire ? Le fait qu’aux côtés des deux piliers James Genus et de Lionel Loueke, figuraient deux impétrants, Justin Tyson, déjà drummer au long cours, et Elena Pinderhughes, la benjamine du groupe, comme le rappelait Herbie Hancock au moment de présenter ceux qui l’entouraient ? En tout cas, une osmose étrange qui a fait mouche d’entrée.
Mais il est évidemment d’autres raisons : un mélange savant, entre musiques récentes aux influences multiples et quelques-uns des thèmes les plus célèbres du pianiste. Comme des rengaines qui entrent par une oreille et ne ressortent jamais par l’autre. Ce fut, entre autres, Cantaloup Island, dont la magie agit toujours.
Et, pour se quitter, ce fut, démarré depuis les coulisses avec son clavier mobile aux touches noires, Chameleon qui eut deux particularités. Celle de mettre tout l’auditorium debout, salle pourtant dure à chauffer. Et celle de donner une nouvelle jeunesse à Herbie Hancock qui vous prend tout à coup des airs de Niles Rodgers, sautillant, souriant , s’avançant vers le public, à gauche, à droite, heureux de ce moment, de ce partage, de ce concert. Le tout, remarquons-le, sans la moindre barrière entre le public et les artistes.
Et ça, ça change tout.
Un concert aux allures de traversée du temps
Mais ce serait fort mal résumer les 90 minutes d’un concert plein, bien construit, sans temps morts ou presque, qui a séduit non seulement les néophytes qui ne connaissaient pas l’étendue du registre du musicien mais aussi ceux qui ont l’habitude depuis près de 30 ans d’applaudir Herbie Hancock à Jazz à Vienne ou ailleurs. En fait, ce concert fut une traversée du temps, de ces six décennies musicales dans lesquelles Herbie Hancock est impliqué. Et l’un des intérêts du concert fut aussi de découvrir quelle époque le musicien décidait d’évoquer, de convoquer.
Certes, aucun cuivre ne figure, cette fois, au scénario. Mais le jeu combiné des deux guitares et de cette flûte sage nous aspirait vers d’autres horizons. Récapitulons : au départ de ce quintet, il y a d’abord et toujours le groove de James Genus à la basse, qui a la particularité d’épeler pratiquement chaque note qu’il dépose sur sa basse : faut-il rappeler qu’il a à peu près joué avec tout le monde, de Daft Punk à Chick Corea en passant par Didier Lockwood et Michel Camilo ? Funk toutes donc, même s’il montre une subtilité du jeu peu commune.
Ensuite, évidemment, Lionel Loueke : bien malin qui peut reconnaître une sonorité de guitare dans ses intros. Mais surtout, à l’instrument comme à la voix, le musicien est d’une sincérité désarmante, abolissant d’un coup la distance entre ce sage auditorium et la scène en mode transes.
Justin Tyson, gladiateur version moderne des percussions
Bref, la découverte est plutôt venue de Justin Tyson, le drummer, qui a intégré récemment la formation. Un mélange de solidité, de pugnacité et d’extrême finesse au gré des tournures du moment. Durant près de deux heures, le jeune batteur nous a régalés de ce qui est, au-delà de son talent, un enthousiasme débordant pour faire vivre cette musique. Jusqu’à la mesure finale.
Et puis devant, entre les deux piliers de la formation, s’est donc illustrée Elena Pinderhughes, flûtiste et chanteuse. On l’a préférée à la flûte qu’à la voix. Mais ce qui frappe avant tout c’est le choix de Herbie Hancock d’introduire cette flûte presque fragile au centre de ces guitares et de ses synthés. A charge pour la jeune femme de tempérer l’ensemble, de leur donner une autre couleur, une autre direction. Et ça marche : les accents les plus affermis de la basse ou de la guitare ressortent tout à coup comme apprivoisés, assagis, tranquillisés.
Bref, il y aurait encore beaucoup à dire sur ce concert, sur les baskets d’Hancock, sans doute empruntées à sa jeune nièce au moment d’entrer en scène, sur ce concert complet, sans timing (il nous l’a précisé d’entrée), sans fard. Certes étape parmi d’autres, parmi de nombreuses de la tournée mondiale d’Herbie Hancock. Mais un concert qui se donnait du temps.
Et puis, tout de même, le talent du pianiste de passer, si aisément, d’un clavier à l’autre : note tenue sur le synthé, note si éphémère sur le piano acoustique.
C’est pourquoi, et le musicien rappelait un de ses passages antérieurs en compagnie de l’Orchestre national de Lyon, on peut penser que cette étape a eu pour tout le monde une saveur bien particulière.
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