Et devinez ce qui arriva ? Casquette vissée sur la tête et chemise à pois blanc sur noir, Buddy Guy quitte la scène du théâtre antique et, comme il y a deux ans, s’en va se promener au cœur du théâtre. Guitare omniprésente distillée à quelques centimètres des spectateurs. Large sourire. Retrouvailles. Et la plus belle façon de conclure cette ultime soirée de Jazz à Vienne, 36ème du nom. Il est minuit passé. Le concert se termine. Et avec lui la 36ème édition de Jazz à Vienne.
Jamais un « tour » de chant (de la cour au jardin) n’est mieux tombé. Comme si le bluesman conviait chacun des spectateurs à le rejoindre, à monter sur scène à leur tour.
Retour trois heures avant. Il est 20h30, l’heure de lancer la soirée. Sous le ciel bleu, et en attendant le vieux bluesman, ce devrait être la franche gaieté dans le théâtre antique où 5 000 personnes ont pris place. Est-il besoin de le dire, le cœur n’y est pas. Evidemment pas. Benjamin Tanguy et l’équipe du festival sont entrés sur scène, une fois n’est pas coutume : quelques mots sobres en direction de Nice, des Niçois, avant que le Théâtre, ensemble, ne se recueille quelques instants. Le silence à cinq mille. Le Blues au plein sens du terme. Peu de chose face à l’effroyable mais un peu de chose essentiel qui donne à cette ultime soirée un ton étrange, inédit.
Tristesse, lassitude, solidarité.
Selwyn Birchwood : une voix qui porte étonnamment le blues
Il est temps d’accueillir Selwyn Birchwood. Quasi inconnu mais gageons que ça ne durera pas.
Comme le temps est compté dans ces soirées à trois plateaux, le jeune homme attaque d’emblée. Bien entouré, notamment par un sax baryton velu, j’ai nommé Regi Oliver. Selwyn Birchwood est un jeune bluesman (31 ans), arrivé dans la planète blues d’abord par conviction. Certes, il possède un bon jeu de guitare qui sait s’appuyer sur une rythmique aguerrie.
Mais ce qui frappe d’emblée c’est la voix. Enfin, pas d’emblée, mais au fur et à mesure qu’on avance dans le concert et dans la nuit et que notre petit-grand Selwyn, coiffure afro, prend ses aises et la mesure de cette scène. Sortilège de la voix : accents de crooner, décontraction, musicalité.
On finira d’ailleurs presque au coin du feu. Lui pieds nus, tranquille, à l’abri du temps qui passe, aux anges. Le public le lui rend bien.
Désarmante Shakura S’Aida
Comme il le rendra bien à Shakura S’Aida. En conférence de presse, sage, posée, répondant tranquillement aux questions de Robert Lapassade. En anglais. Et, au moment où l’on s’y attend le moins en français. C’est quasi le même set que Mister Birchwood : ça démarre comme ça peut. Public es-tu là ?
Ce n’est pas faute de l’inviter à se mobiliser. Elle aussi est bien entourée. C’est d’ailleurs par le guitariste, gapette sur l’œil (Paige Armstrong) que l’on va commencer à se dérider. Et que Shakura S’Aida va trouver la faille.
Les premiers thèmes avaient permis d’apprécier sa voix bien posée et l’élégance de sa mise.
Les suivants vont surtout révéler une « nature » : on savait qu’elle était (aujourd’hui) canadienne, qu’elle n’a pas fait que chanter du blues dans ses jeunes années et que le chemin n’a pas été des plus simples pour s’imposer.
Ce que la scène permet de découvrir c’est la fusion grandissante de l’artiste avec cette musique, avec ces accents et avec ce qu’elle traduit.
De plus en plus dansante, désarmante, elle prend le public sous le bras. Commencé sagement, son concert finit en quasi-apothéose-osmose avec le théâtre antique.
Buddy Guy : set de rêve, souriant et solidaire
Enfin, Buddy Guy. Lui à l’avant-scène, ses sidemen un peu loin derrière. Trop, à notre goût. On eut droit à un set de rêve.
A tendre l’oreille lorsque l’artiste ne fait plus qu’effleurer sa guitare. Ou, au contraire, à les cacher (les oreilles) lorsqu’il lance quelques-uns de ses plus grands thèmes, assis sur une batterie très mécanique.
Même après tant d’années, les premières mesures d’un thème de Buddy Guy ont un effet immédiat sur l’assistance.
Il suffit d’un Fever de bon aloi pour s’en rendre compte. Ce que les caméras révèlent, ce n’est pas tant la livrée de jockey du bluesman (pois noirs sur chemise blanche flottante et casquette du même métal) mais son sourire désarmant, enjôleur et contagieux. Blues mais pas triste. Au contraire.
La voix est fine, souvent monte haut. La guitare est d’une diabolique précision, forçant l’écoute, initiant des quasi-silences.
Comme on le soulignait en débutant, le set aurait pu durer. Propre du blues, surtout en cette soirée particulière.
Mais, comme il y a deux ans, Buddy Guy s’en est allé visiter le théâtre antique, tout sourire, à peine précédé d’une lampe et d’une personne chargée de le guider.
Pouvait-on rêver de mieux ce soir-là comme solidarité ? Et comme clap de fin ?
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