5 juillet 2014. Sharon Jones était de retour à Jazz à Vienne avec les Dap-Kings. Cette fois sur la grande scène, pour une soirée mémorable signée par l’Appolo. Petite bonne femme, le cheveu court. Robe moulante toute dorée. La chanteuse ôte ses chaussures pour mieux danser et s’emparer de la scène. Au fond, autour d’elle, comme d’hab, les Dap-Kings, avec leurs airs d’éternels étudiants, pressés de bien faire, de bien jouer et de bien entourer leur héroïne.
On ignorait alors que quelques mois avant, on venait de lui diagnostiquer une maladie qui accorde peu de sursis. Le pancréas. Et qui, de fait, ne lui laissa que quelques mois de rémission. Dont ce concert de Jazz à Vienne.
Un concert en forme de 1 000 souvenirs. Sa danse pieds nus devant un théâtre comble. Les Dap-kings au meilleur de leur forme. Pour une fois, les photographes eurent table ouverte et purent immortaliser l’intégralité du concert. Ce fut aussi cette jeune femme qui monta sur scène pour la rejoindre et qui aurait été virée manu militari par une du service d’ordre si Sharon n’avait pas expressément demandé de lui foutre la paix.
Surtout, ce concert avait des allures de revanche. Une dizaine d’années avant, lorsque Jazz à Vienne finissait ses nuits de l’autre côté du Rhône, à La Verrière, Sharon Jones avait débarqué sans crier gare. Alex et Fred, deux historiques du festival, avaient averti : « surtout, ne la manque pas ». De fait, dans un gentil désordre, on vit tout à coup arriver ces Dap-kings obligés de se serrer sur la petite scène, ne laissant qu’un minuscule carré à une petite bonne femme, vêtue d’une petite robe à fleurs façon marché de Provence, et commençant à égrener des chansons. Tout était quasi-inconnu : sa voix, les accents du band, la décontraction de la dame, sa façon de chanter et d’appeler le maigre public à la soutenir. Perle totalement ignorée. Du rhytmn and blues à l’état brut. On l’a comparée à James Brown. Mais dans sa façon de vous amener à elle, d’aller chercher le public, de donner ses tripes durant 90 minutes, elle aurait plutôt fait penser à Otis Redding.
Bref, quelques années après, on l’avait retrouvée au Ninkasi. Rassurez-vous : la scène était tout aussi minuscule mais le public plus nombreux. Déjà, la réputation commençait à transpirer. On savait désormais qu’elle avait eu du mal à se lancer, même si on ignorait qu’elle avait été l’une des choristes d’Amy Winehouse, qui l’aura précédée de quelques mois au panthéon musical. Qu’elle avait dû attendre la cinquantaine (elle était née en 1956) pour rejoindre le label Daptone, elle, la petite chanteuse originaire, comme Otis, de Géorgie. Début de la reconnaissance. Certitude de pouvoir se consacrer à la musique. D’oublier ces cent métiers obligés, lots de beaucoup de musiciens en devenir. Elle ? Elle fut notamment agent de sécurité pour une banque et surveillante dans un pénitencier américain.
Sont-ce tous ces vents contraires qui lui permirent de bâtir cette voix incroyable, qui vous remuait ciel et terre et spectateurs compris ? Les questions les plus bêtes sont celles qui n’appellent pas de réponses.
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