Lundi 2 juillet, au théâtre antique de Vienne, Jeff Beck donnait le premier concert d’une tournée de 32 dates, européennes dans un premier temps puis américaines pour la grande majorité, qui finira le 26 aout en Floride.
Afin d’éviter toute ambiguïté, Jeff Beck – 74 ans – n’est pas là pour donner un concert troisième âge (comme on l’a vu si souvent à Vienne ou ailleurs) : ‘’ je joue assis, je laisse jouer les petits jeunes qui vont bien et je place mes riffs quand je le veux bien… ». Non, ce n’est pas vraiment le genre de la maison de « Geoffrey Arnold Beck » dit Jeff Beck. ll fait carrément quinze ans de moins le bonhomme.
Mais, nous sommes là en présence d’un grand, un des derniers grands guitar-héro qui continue inlassablement ce qu’il toujours fait durant sa vie : jouer, chercher, éprouver, trouver, peser chaque note jouée, avec curiosité, précision, intention et cohérence stylistique. Tout cela se conjuguant avec une liberté, une inventivité, une bonne humeur autant apprécié par ses pairs – ses musiciens que par un public fidèle et fortement renouvelé au vu de la jauge quasiment pleine du théâtre antique.
Petits rappels : Jeff Beck est l’un des trois guitaristes de rock britannique à avoir joué dans les Yardbirds (avec Éric Clapton et Jimmy Page). Classé 5èmemeilleur guitariste de tous les temps par le magazine « Rolling Stone », il est décrit comme l’un des solistes les plus influents dans le rock. Il a gagné huit« Grammy Awards » (organisme américain de musiciens, producteurs, ingénieurs du son et autres personnes de l’industrie musicale) au cours de sa carrière et l figure deux fois au Rock and Roll Hall of Fame.
Pourtant, ce génie guitaristique – dans une sincère humilité ne peut pas croire qu’il a influencé d’autres guitaristes. Ami de Steve Wonder (voir «Superstition »), c’est résolument John McLaughlin qui, dans les années 70, eut sur lui une influence majeure.
Du solo de « Right Off » tiré de l’album de Miles Davis « A tribute to Jack Johnson » au « My Goal’s Beyond « qui lui fit découvrir le « Good Bye Pork Pie Hat » de/et Charles Mingus (JB enregistra une sublime version respectant à la lettre ce thème de jazz mais dans un développement très blusy et sans dénaturer l’esprit du morceau) puis au Mahavishnu Orchestra auquel il participa pendant quelques années, le jazz fusion fut après le rock, son terreau de prédilection, mais pas que…
Jeff Beck nourrit son vocabulaire musical dans le blues, le hard rock voire le métal (son énergie et sa puissance du son sont phénoménaux !), l’électronica et plus rarement dans la musique traditionnelle (irlandaise, indienne).
Mais toujours dans un jeu, un son, une esthétique qui lui sont propres.
On peut bien sur identifier les ingrédients qu’il utilise. Tout d’abord, différentes techniques de guitare : un jeu aux doigts (pouce, index, ce qui le dé-formate de la technique et du son caractéristique du jeu au médiateur), un jeu permanent au vibrato, au volume (potentiomètre de sa guitare), les bends (tendu de corde pour hausser la note) typique du jeu des bluesmen, le tapping, le jeu au bottle-neck… Puis un son de guitare savamment saturé, apuré, sortie directement des amplis de scène (le gros son devrais-je dire !!), intégrant réverb, délay avec une utilisation restreinte d’autres effets. Mais c’est surtout dans l’alchimie de la combinaison de tous ces ingrédients que se niche une partie de son talent. Le style.
Alors que dire de ce concert de lundi ??
La section rythmique – une machine de guerre… Rhonda Smithà la basse (ancienne bassiste, Chaka Khan, Beyoncé, Georges Clinton, de feu Prince) admirablement précise, groovy, imperturbable, en accord quasi fusionnel avec le batteur. Vinnie Colaiuta : ancien batteur de Franck Zappa (époque Joe’s Garage) que ce dernier qualifiait de « meilleur batteur lors de (mes) solos de guitares ». Il a travaillé avec Jony Mitchell, Sting, Joe Satriani, Herbie Hancock, Chick Coréa…et fait partie de ces batteurs qui savent absolument tout jouer et tout bien. Une frappe incontesté, musicale, collant obsetionnellement aux thèmes.
Plus contestable, Vanessa Freebairn-Smith au violoncelle – que l’on n’a quasiment pas entendue et enfin Jimmy Hall, chanteur et harmoniste – dont la voix apparait peu raccord avec le style du groupe.
Le concert débute par une ouverture féroce qui donne le ton « Pull it » suivi par une succession de d’instrumentaux : « Stratus », « Nadia », « You Know, you Know ». Puis Jimmy Hall prend le lead pour trois chansons, cassant quelque peu l’ambiance : derrière lui, JB relance sans conviction et les titres paraissent assez fades au regard des instrumentaux. Seuls moments où Jimmy Hall apporte un plus au groupe furent la reprise de « Little Wing » et de «A change is gonna come» (écrite par Sam Cooke en 63 sur les mouvements des droits civiques) dont la version joué ce lundi s’approche avec bonheur de celle des Neuville Brothers enregistré sur « Yellow Moon ».
Reprise du thème « Mna Na Heirean», chanson traditionnelle, popularisée par Kate Bush, puis retour au blues« Cause we ended as lovers», «Brush with the blues », « Superstition » de Stevie Wonder et «A day in the life » des Beatles.
Le concert s’achève après deux heures sans aucune communication orale du guitariste mais systématiquement avec un signe de sympathie en direction du public à la fin de chaque morceau.
Chaleureusement salué par un public largement conquis, content du voyage et du faiseur de voyage…mais presque sourd tant le niveau sonore du concert était important (et pas que dans la fosse).
PS : je salue Frédéric Goaty- rédacteur en chef de jazz Magazine Jazzman et admirateur inconditionnel de JB – qui a déroulé la carrière de JB en intégrant une pléiade d’anecdotes – que chacun pourra retrouver sur un DVD (2018) consacré à l’artiste. Je conseille deux autres DVD : l’incontournable « Live at the Ronnie Scott’s» (2006) et le dernier (2017) « Live at the Hollywood Bowl » avec comme invités Billy F Gibbons, Buddy Guy, Jan Hammer, Jimmy Hall, Steven Tyler et Beth Hart.
Souriez nous sommes lundi…
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