75 ans après sa naissance, le Hot-Club de Lyon demeure un exemple unique. Pour mille raisons et pas seulement pour son histoire, les souvenirs engrangés, les musiciens qui ont fait ici leurs premiers pas, leurs dernières fausses notes et, in fine, pour son rôle déterminant dans la place que tient Lyon dans le jazz hexagonal.
75 ans ? C’est en 1948, peu après la fin de la guerre donc, que des étudiants des Beaux-Arts de Lyon, attirés par le jazz et souvent musiciens eux-mêmes, décidaient de lancer et d’implanter dans la ville une structure consacrée au jazz. Le Hot-Club de Lyon était né. Certes, c’était dans l’air du temps. Mais précisément, 75 ans après, le Hot est quasiment le dernier exemple de ce mouvement irrépressible vers le jazz qui déferla alors sur la vieille Europe. Un bel exemple. Car, non content d’avoir épousé le jazz à cette époque, le Hot n’a cessé durant toutes ces décennies de se vivifier, de rester ouvert à toutes les formes musicales proches de la musique improvisée, et d’être à même d’accueillir dans une même semaine, jazz vocal, manouche, new-orleans, classique, be-bop, free, bossa, fusion et j’en passe.
Combien de spectateurs, de musiciens, de concerts en 75 ans ?
On pourrait tenter de chiffrer le nombre de concerts, de jams, de spectateurs, de générations de spectateurs ou de musiciens qu’il a accueillis. Des centaines, des milliers bien sûr. Le tout sous le régime commode mais périlleux de l’association 1901, dépendant donc avant tout de la foi et de la bonne volonté de quelques-uns, qu’ils soient musiciens ou simplement attirés par le lieu, l’ambiance, convaincus de rejoindre un lieu où il se passe chaque soir quelque chose.
Campé depuis 40 ans dans une cave magnifique de la rue Lanterne, sentine proche du musée des Beaux-Arts, le lieu n’a en apparence pas bougé d’un pouce depuis ce jour où, à la recherche d’un nouveau local, une poignée de fidèles dont Raoul Bruckert, descendit le vieil escalier plongeant dans le sous-sol du « 26 ».
« On était le 10 mai 1981, se souvient Gérard Vidon, Raoul vient me trouver. Les caisses étaient vides. Il manquait 70 000 francs pour finir les travaux. L’histoire est connue. Gérard Vidon, carrossier industriel de renom, tombe dans le Hot ce jour-là et n’en ressortira plus, même lorsqu’il laissera la présidence à d’autres, d’abord en 2009, puis revenu en 2010, en 2018. Amateur de jazz mais n’en jouant pas lui-même, il était l’homme rêvé pour mettre de l’ordre autant dans le fonctionnement que dans les finances de l’association, chose d’autant plus délicate que les musiciens jouant alors n’étaient pas payés mais seulement défrayés.
Une vie agitée….normal , mais un lieu sans exclusive
Ces décennies ne furent pas qu’un long fleuve tranquille : plusieurs fois, le Hot dut faire face à des crises, financière, artistique, ou humaine. Il est vrai qu’entre New Orleans et free, l’éventail des courants de jazz qui se disputaient la petite scène du Hot, était large. Et que dire lorsque les musiques latines, cubaines, montrèrent le bout de leur nez, que le Country se mit à occuper la scène le mardi ou que l’ARFI (A la Recherche d’un Folklore Imaginaire) décida de quitter le nid et de voler de ses propres ailes.
Ici, tout musicien en herbe peut pousser la porte
Si elle a pu être critiquée, cette diversité a au contraire imposé le Hot comme un lieu sans exclusive, dans lequel tout musicien en herbe pouvait pousser la porte et s’essayer à l’improvisation sous le regard de la rythmique du jour. Pratiquement tous les musiciens de Lyon et des environs ont fait leurs armes ici, de Michel Perez à Louis Sclavis, de Jean-Charles Demichel – l’un des plus fidèles aujourd’hui encore- à tel ou tel de l’Amazing Kingstone Big Band et bien sûr Petrucciani, père et fils. « Quand je suis arrivé en 1981, 97% des musiciens étaient des amateurs, le reste consistait en quelques professionnels et des professeurs du Conservatoire » rappelle Gérard Vidon, toujours actif et sans doute toujours la figure la plus familière de l’institution.
Une réputation aussi grande que la salle est petite
C’est après 1983, une fois les dettes payées, que les choses se sont arrangées : arrivée des subventions « grâce entre autres à André Mure, alors adjoint de la ville de Lyon ; celles de la ville, du département et de la région et l’aide de la SACEM. Et surtout arrivée de nouveaux musiciens de toutes tendances : « la deuxième année, il y avait quinze orchestres, et après 50, puis 100 », se souvient Gérard Vidon. Certains restent aujourd’hui dans toutes les mémoires, les Happy Stompers, les Flagada Stompers, les Happy Cookies et combien d’autres, trios, quartets, big band.
Animation côté scène, animation côté salle. La réputation de la cave du Hot est aussi grande que sa surface est petite : 90 sièges en configuration assise, 150 au grand max si tout le monde reste debout et déborde vers le bar, aussi fréquenté que la salle à l’heure de l’entracte ou du « boeuf » qui se met en place après le concert. C’est là souvent que débarquaient des artistes inattendus de passage à Lyon, qui venaient en fin de soirée faire un tour au Hot, comme Chet Baker ou Herbie Hancock en passant par combien d’autres. Tels Duke Ellington accueilli après un concert à la salle des Sports de Villeurbanne, ou Art Blakey.
Une seule langue commune : la musique
Pendant toutes ces années, le Hot a également profité du fait que l’étape de Lyon restait incontournable pour des musiciens qui se déplaçaient le plus souvent en train ou en voiture avant que le TGV ne trace un sillon direct de la capitale à la Méditerranée. Ce qui permit au Hot d’accueillir tant et tant de musiciens pour un concert, une impro, un pas de deux ; on se souvient de Gérard Badini aux côtés de Raoul, de Michel Guérin ou, plus près de nous, de Jérémy Pelt et autres petites merveilles tel Dmitri Baevsky dont la seule langue commune avec le public était la musique.
Chaque soir une affiche différente
Festivals annuels, défilés en ville rencontres inattendues, voire soirée spéciale aux Nuits de Fourvière, la vie du Hot n’a cessé d’être rythmée par des évènements heureux comme par des déboires qui auraient pu l’emporter. Notamment financiers. C’est là qu’il put compter sur l’appui de quelques-uns et de quelques-unes; ici des élus (André Mure, Aimé-Denis Troux, Georges Képenékian), quelques acteurs du monde économique, là surtout des bénévoles attentives « bienfaitrices du Hot Club, souvent cachées mais efficaces » telles Catherine Zoldan, alors bras droit d’André Mure, Choupie Vidon, Danielle Perrodin, et plus récemment Isabelle Giraud « qui a fait un gros travail de professionnalisation ». Se souvenir aussi de Camille, élégant et débonnaire, planté à l’accueil.
Tout cela pour raconter un peu ce qu’est le Hot. Mais cela n’explique pas pourquoi ce lieu continue d’aimanter : l’ambiance unique ? La chaleur qui s’en dégage, toujours et encore ? Ce laboratoire musical d’exception ? Cette couveuse pour musiciens en devenir ? En tout cas, une sentinelle incontournable qui, sans qu’on en ait toujours conscience, ouvre chaque soir (sauf l’été) avec une affiche différente. Impressionnant.
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