
Soirée de contrastes et de convergences aux Nuits de Fourvière : d’abord la douce incantation de Ganavya, voix-monde à la spiritualité sans drapeau, portée par une harpe et une contrebasse complices ; puis la ferveur grave du Trio Joubran, trois frères palestiniens dont les ouds racontent la douleur et l’espoir. Entre les deux, une scène devenue espace de recueillement , minute de silence pour Gaza, geste bouleversant d’une farine qui circule de main en main, symbole muet d’une famine qui ne dit pas son nom. Ici, la musique n’argumente pas, elle accueille, relie, console. Elle rappelle que, lorsque les mots se brisent, restent le souffle, le rythme et la dignité. Une nuit où l’art n’a pas cherché à séduire, mais à protéger ce qu’il nous reste d’humanité.
Ganavya, Le souffle d’une voix-monde
La soirée s’ouvre sur un moment d’une simplicité apaisante. Dans l’amphithéâtre bien garni, Ganavya s’avance, silhouette humble, presque effacée, avant de laisser jaillir une voix qui semble venir de loin, comme si elle avait traversé des siècles et des continents. Née à New York et élevée au Tamil Nadu, cette chanteuse à l’aura magnétique porte en elle une multiplicité de racines et d’horizons. Sa musique, à la fois jazz spirituel, chant dévotionnel sud-asiatique et exploration expérimentale, se déploie avec une intensité à la fois douce et poignante.
À ses côtés, la harpiste Miriam Adefris et le contrebassiste Max Ridley forment un écrin à la fois délicat et vibrant. La harpe scintille comme un chapelet de lumière, la contrebasse répond par de lentes pulsations terriennes. Il y a entre eux une connivence rare, presque palpable, faite de regards et de silences partagés. La scène devient le théâtre d’une tendresse musicale, où l’amour des sons et des gestes se transmet comme une évidence.
Ganavya a publié en 2024 Daughter of a Temple (LEITER, le label de Nils Frahm), un album choral enregistré à l’Opera House de Houston avec des artistes comme Esperanza Spalding, Vijay Iyer, Shabaka Hutchings ou Immanuel Wilkins. Sur scène, elle en propose une version épurée, quasi méditative. Son timbre, que The Guardian décrit comme « capable de faire pleurer les plus stoïques », touche par sa sincérité brute et sa capacité à créer un espace de recueillement. Il y a, dans sa manière d’habiter le silence, quelque chose de profondément spirituel : une voix qui console autant qu’elle élève.
Trio Joubran : la mémoire et le souffle
Après cette ouverture en apesanteur, la nuit s’embrase avec le Trio Joubran. Depuis vingt ans, les trois frères, Samir, Wissam et Adnan, font résonner le oud, cet instrument emblématique du monde arabe, comme une déclaration de vie et de résistance. Accompagnés d’un quatuor à cordes (Anne Gouverneur, Sylvain Favre-Bulle, Anne Berry, Valentin Mussou) et de deux percussionnistes virtuoses (Habib Meftah et Youssef Hbeisch), ils ont ajouté une profondeur orchestrale à leur jeu, entre rythmiques effrénées et plaintes suspendues.
Avant la première note, une minute de silence est observée en hommage aux victimes civiles de Gaza, et plus particulièrement aux enfants. Ce silence, lourd et vibrant, semble s’ancrer dans chaque pierre du théâtre. Plus tard, un geste inattendu frappe l’assemblée : Samir Joubran, accompagné de deux membres de la sécurité, distribue des poignées de farine, rangée après rangée, puis passe de mains en mains. Un acte symbolique, en mémoire de la famine qui ravage la Palestine, geste simple et déchirant qui bouleverse sans pathos, sans désignation de coupables, mais avec une humanité désarmante.
« Nous ne voulons pas être des héros ou des victimes, nous souhaitons simplement protéger ce qui reste de notre humanité », confie Samir, l’aîné. Leurs musiques portent ce message silencieux : elles racontent l’exil, la douleur, mais aussi la fierté d’un peuple et l’espoir d’un retour à la paix. Les compositions naviguent entre maqâms traditionnels, improvisations et influences venues du jazz et du flamenco. Les oud se répondent comme trois voix fraternelles : la virtuosité délicate de Wissam, la fougue créative d’Adnan, et la profondeur méditative de Samir.
À plusieurs reprises, la poésie de Mahmoud Darwich s’invite, en filigrane, comme une respiration. Et lorsque le trio s’élance dans ses envolées les plus incandescentes, percussions et cordes s’unissent dans un dialogue saisissant, entre élégie et danse. Un concert en tout point exceptionnel!
Une soirée de mémoire et de lumière
Ce 23 juillet aux Nuits de Fourvière, tout converge vers une émotion rare : le chant de Ganavya, mystique et universel, et la force du Trio Joubran, indissociable de l’histoire et des blessures de la Palestine. Deux univers, deux langages, mais une même quête : dire l’indicible, tisser des espaces de paix et d’espoir.
On quitte l’amphithéâtre encore habité par cette soirée, le cœur serré mais étrangement apaisé, comme si la musique avait, un instant, suspendu le fracas du monde.
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