
George Ka, Oxmo Puccino et De La Soul, trois vibrations pour un même battement, celui d’un public conquis par une soirée aussi introspective que jubilatoire. George Ka a ouvert une brèche intime, Oxmo Puccino a suspendu le temps, et De La Soul a déclenché une euphorie collective. Trois manières de faire scène, trois façons d’interroger ce que « se dire » veut dire, sur fond de beats, de souffle et de mémoire.
George Ka : la poésie comme révélateur de soi
Il est des mots qui s’impriment doucement mais profondément. George Ka, en ouverture de cette soirée du 5 juillet aux Nuits de Fourvière, a cueilli le public avec un slam d’une rare finesse avec notamment le très touchant titre Garçon manqué, fille manquante. À la croisée de la confession et du manifeste, elle y explore l’entre-deux des genres, les attentes assignées et les zones grises de l’identité. C’est subtil, précis, intime sans être égocentrique. On entend le poids des normes, mais surtout le courage de s’en affranchir. Pas un souffle ne traverse la colline antique : elle parle, on écoute. Elle doute, on ressent. Elle affirme, on applaudit. Il y a dans ce texte une intelligence de la nuance, rare dans un espace souvent sommé de choisir son camp. Ce n’est ni une complainte, ni un manifeste. C’est un poème. Une matière textuelle qui questionne avec pudeur ce que c’est qu’être une fille dans une société qui codifie dès le berceau. Mais plus largement encore, c’est une réflexion sur ce que ça veut dire « être soi », quand les cadres vacillent.
Oxmo Puccino : le temps comme boussole
Puis entre en scène Oxmo Puccino, dans une forme olympienne, presque solaire. Charismatique sans jamais forcer, il promène sa voix grave entre les classiques, Mama Lova, L’Enfant seul, ou Bamako (qu’il avait déjà chanté ici même avec -M- quelques jours plus tôt), et des titres plus récents comme 365 jours. Ce dernier est l’occasion d’un moment suspendu où Oxmo, en fin philosophe urbain, interroge la foule : Qu’est-ce qui est essentiel ? Les réponses fusent – l’amour, la santé, les amis – mais c’est lui qui tranche : Sans le temps, rien de tout cela n’a de valeur. Si le temps ne se prend pas, il nous échappe. Une leçon enveloppée dans une basse ronde et des nappes cuivrées, une méditation dansée. Et ce n’est pas une simple punchline : c’est une philosophie. Le temps comme ressource, comme condition première de l’attention, de la transmission, de la création. Oxmo ne donne pas une leçon, il invite à repenser nos priorités. En creux, il évoque aussi la place du rap comme art du temps long : loin du zapping, loin des algorithmes, il sculpte ses vers dans la durée.
De La Soul, ou l’art du chaos jubilatoire
Le final est un basculement. Avec De La Soul, le théâtre antique devient boîte à rythmes, cour de récréation, transe collective. Sur scène, ils sont quatre, en mouvement permanent, comme s’ils avaient trop d’énergie pour rester dans leur corps. C’est à la fois très maîtrisé et joyeusement bordélique. Une fanfare hip hop propulsée par des cuivres cinglants, une basse élastique, des percussions à la pulsation presque tribale. Et surtout, ce sens aigu de la communication directe avec le public : appels, injonctions, sourires, clins d’œil. On n’assiste pas à un concert : on y participe.
Il y a un moment d’apesanteur, presque surréaliste : un morceau où le refrain est un rire. Un vrai, franc, tonitruant. Ce n’est pas un gimmick : c’est une détonation thérapeutique. Entendre une foule rire ensemble, sur le même tempo, a quelque chose de profondément libérateur. Cela dépasse le fun. C’est une manière de dire que le hip hop peut être guérison. Que derrière la fête, il y a une mémoire, celle d’un groupe qui, depuis les années 90, a toujours su faire rimer exigence musicale et ouverture d’esprit.
Leur set est un condensé d’héritage et de modernité. Les samples sont taillés au scalpel, les transitions soignées, les rythmiques groovy mais jamais démonstratives. De La Soul prouve une fois de plus que le hip hop n’est pas qu’un genre : c’est une langue vivante, qui peut rire, pleurer, réfléchir et danser, parfois tout à la fois.
Une soirée qui n’aura pas seulement fait battre des têtes, mais aussi remuer des pensées. Le hip hop, ici, n’était pas une posture : il était parole, temps et lien. Une nuit hip hop comme un kaléidoscope de l’âme, de la tête aux pieds. Magistral!
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