Au risque de faire dans l’évidence, commençons tout de même par signaler que dans le Laurent Dehors Trio, il y a Laurent Dehors, certes, aux saxophones (ténor & soprano) et clarinettes (Bb, basse, contrebasse). Oui, voilà et ensuite? Et bien, ensuite nous avons deux musiciens issus du Big Band « Tous Dehors », également dirigé par le saxophoniste, avec Gabriel Gosse à la guitare et au banjo et Franck Vaillant à la batterie acoustico-électronique et aux percussions (la liste est longue…).
Décontracté d’la anche
Ce qui frappe d’emblée avec Laurent Dehors, c’est sa décontraction. Il est chez lui, il taquine ses camarades de scène. On le sent espiègle comme cet enfant, « Augustin », dont il nous parle sur le premier morceau. « C’est un petit qui garçon qui ressemble à ce que vous allez entendre » nous dit-il. Et de fait le titre sonne ludique, guilleret. On croirait entendre un enfant et ses jouets, un enfant qui fait des bêtises. Et puis Augustin grandit, la fête (foraine) se déglingue, les ambiances changent et le rock s’invite.
Arrive « Wendy », un titre très électrique et énergique, hommage à Andy Emler. Euphémisme du saxophoniste, « un morceau un peu brutal », avec un groove gros comme ça et une clarinette qui flirte tellement avec les infrasons qu’on croirait la voir vibrer. C’est un morceau aux ambiances changeantes qui annonce bien la suite.
Le reste du concert est en effet à l’image de ces morceaux introductifs. C’est un véritable melting-pot de style musicaux entre Jazz et musique contemporaine, Funk et Hard-Rock … jusqu’à ce final Disco-Rock déjanté avec en intro un air de « joyeux anniversaire » à la cornemuse! Au milieu de ce joyeux chaos, émerge régulièrement de jolies mélodies, comme celle d’un des derniers morceaux du concert qui évoque « Don’t buy ivory anymore » d’Henri Texier. Le temps de reprendre son souffle et c’est reparti pour l’action, à grand renfort de solo frénétique de saxophone ou de solo de batterie cataclysmique (y a pas à dire la double pédale ça envoie du lourd).
La musique est fournie et les musiciens impliqués physiquement. Les morceaux sont si denses que côté public, on applaudit peu, on écoute attentivement. On se laisse emporté par ces titres dont on ne sent pas les structures et qui racontent des histoires passionnantes.
Les savants fous
A l’origine des compositions de Laurent Dehors, il y a souvent un travail sur les sons et sur ces timbres qu’il aime tant altérer. Il aime pousser ses instruments au bout de leurs possibilités, en allant dans les suraigus, en mêlant beaucoup de souffle à ses notes, en faisant des « bend » … L’homme est versatile. Aux clarinettes, Laurent peut faire penser à Sclavis ou Portal (à l’album « Minneapolis » en particulier) mais en plus fou peut-être, plus rentre dedans, mais tout aussi précis. Au saxophone, quand la pression monte, on pense plutôt à la frénésie de John Zorn.
Cette recherche de texture n’est pas l’apanage du leader, tous sont multi-instrumentistes et multiplient les expérimentations. Le batteur frotte et triture ses percussions, fait des bruits de mécanismes et agite des feuilles en plastique ou autres objets improbables. Le guitariste, qui oscille entre Bill Frisell et Wayne Krantz, expérimente de son côté à l’aide d’effets et de loops. Il prépare ses cordes, les gratte ou glisse dessus avec un bottleneck.
Collectivement, tous ces sons fusionnés donnent à la musique un côté touffu, bouillonnant. On pense à Andy Emler pour la célérité et les grooves massifs, mais les choses sont ici un peu plus déconstruites, les phrases plus heurtées.
Les musiciens cherchent d’avantage les textures et ambiances que des mélodies identifiables, on pourrait croire le résultat inabordable, mais pas du tout. Et c’est bien là qu’est le tour de force, le Laurent Dehors trio propose une musique audacieuse et pourtant tout à fait accessible. Peut-être parce qu’elle est joyeuse et pleine de vie!
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