« Comment faire vivre une singularité au moment où, à peu près, tous les festivals tiennent le même discours » ? Le directeur de Marseille Jazz des Cinq Continents rappelle que, depuis sa création, le festival n’a jamais cessé d’évoluer avec son temps en présentant un « jazz ouvert, cosmopolite à l’image de Marseille »
Au moment de fêter ce quart de siècle d’existence, le rajeunissement du public est-il une priorité et, lorsqu’on dirige un tel évènement, comment aborde-t-on ce sujet ?
Rajeunir le public, mon beau souci ! Que je partage avec l’ensemble de mes camarades et collègues de notre eco-système du Jazz ! Rajeunir le public, c’est parce que l’on fait le constat que le jazz rassemble naturellement une audience au-delà de 50 ans, les concerts de jazz sont fréquentés par des seniors, les radios jazz sont écoutées par des seniors, les disques et les revues de jazz sont consommés par des seniors. C’est un constat que personne ne peut remettre en cause et contre lequel nous sommes toutes et tous mobilisés. Non pas pour vider les salles des seniors mais pour élargir le spectre des générations. Il faut rappeler que le jazz n’a pas toujours été une musique de vieux, il a été à certaines époques, une musique d’avant-garde et aussi une musique contestataire, une musique de danse avec la jeunesse au cœur de cette énergie et de cette créativité. Et tout le monde a vieilli en même temps, artistes, festivals, clubs et publics.
« Il y a un véritable bouleversement dans les sons avec l’arrivée de jeunes musiciens »
Est-ce que l’on peut à nouveau envisager que le jazz colle à une nouvelle génération ? De côté des artistes, c’est largement en cours, il y a un véritable bouleversement dans les sons, avec l’arrivée de jeunes musiciens et musiciennes, beaucoup et venant de partout, qui revitalise la notion de jazz. Parfois même, certains proclament que ce n’est plus du Jazz et l’on reste dans ce discours stérile du monde des conservateurs ou traditionnalistes versus les novateurs ou progressistes.
Jazz des Cinq Continents est au cœur de ce débat : depuis 25 ans il évolue avec son temps et espère, à chaque édition, faire coller la plus contemporaine des expressions artistiques dans le domaine du Jazz et des musiques connexes avec les goûts, les usages et les aspirations du monde d’aujourd’hui. Il y a 25 ans nous avons décrété que notre ligne artistique, notre singularité serait la présentation d’un jazz ouvert, cosmopolite à l’image de Marseille, cette ligne est toujours la nôtre même si le Festival ne ressemble plus beaucoup à ce qu’il était en 2000.
La force de Marseille, c’est sa diversité
Maintenant nous avons plus à imaginer, comment faire vivre une singularité au moment où, à peu près, tous les festivals tiennent le même discours. La force de Marseille, c’est sa diversité et les frictions que cela provoque, elles sont salutaires du point de vue de la création artistique. Ce qui me conforte dans la conviction que Marseille est une destination Jazz.
Est-ce alors plus délicat de monter aujourd’hui une programmation ? Et depuis votre arrivée, comment votre « équilibre » (genre, formations, etc… ) et vos choix ont-ils évolué ?
Je ne pense pas que ce soit plus ou moins délicat de construire une programmation aujourd’hui. Il est plus délicat de garder son équilibre dans un temps qui devient orageux avec des secousses de tous ordres et venant de directions multiples. Pourtant les propositions artistiques sont encore plus diverses, plus engagées, plus créatives, ce qui nous offrent des horizons élargis, nous programmateurs. Un jour, je rends visite à un ami vigneron du côté de Tavel, c’est quelqu’un de très inspirant. Je rentre doucement dans la grande pièce de sa cave en ne faisant pas trop de bruit. Il fait frais, et l’odeur est familière, c’est agréable. Je le trouve assis à une longue table en bois propice au grand repas. Il est seul et il a la tête dans les mains. Sa cigarette se consume dans son cendrier, il ne bouge pas, j’hésite à le déranger, est ce qu’il dort ? Puis il lève les yeux, me voit et me sourit. Il se lève, m’accueille amicalement et il me dit : « Excuse-moi, j’étais en train de préparer la prochaine cuvée….. ». Et là une lumière s’est allumée dans ma tête. Il était en train de penser, de rêver, d’imaginer, intérieurement les assemblages, le travail, le timing de la récolte, etc …Ce moment incroyable intense, je m’en sens proche. La composition d’un programme, la recherche de la justesse avec la volonté de préserver l’équilibre tout en y insérant des composantes en perpétuelles transformations, c’est une forme de délicatesse, elle opère à chaque fois avec les mêmes incertitudes.
Les Cinq Continents ce sont des lieux multiples et très différents les uns des autres et, cette année, l’absence du Palais Longchamp : Comment y palliez-vous ? Et que dire des six lieux qui accueillent cette édition ?
Il y a une réponse basique qui dit que le Festival s’adapte comme il doit s’adapter à chaque situation. Un Festival c’est une dynamique qui se construit dans un aller-retour entre sa constante artistique et ses changements permanents. Mais ça c’est la théorie. En réalité, nous devons composer avec cette nouvelle qui ne fait plaisir à personne au fond. Nous sommes nés au Palais Longchamp et nous avons grandi en symbiose avec le Parc. Aujourd’hui les équipes comme le public se retrouvent comme en exil. Nous avons remballé nos affaires, repris notre bâton de pèlerin, qui sait où nous allons trouver notre nouveau site. En attendant nous sommes en mouvement, mais sans rien lâcher de notre détermination.
D’autres lieux de Marseille nous accueillent, ils ont chacun, une histoire, une force et une capacité ; à nous de la percevoir et de la faire partager. C’est l’un des paramètres de la programmation. Par contre, il faut du temps. Quoi qu’on en dise, la relation entre un projet artistique et le public, se construit dans le temps. C’est pourquoi il faut défendre nos modèles, il s’y passe des choses essentielles pour notre société…si complexe à faire exister et si facile à renverser.
Comment se positionne le Parcours Métropolitain par rapport au festival proprement dit ?
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Le Parcours métropolitain est né de la même énergie que le Festival. Ce sont exactement les mêmes ingrédients et le même esprit qui opère dans la relation du Festival avec les communes qui nous ouvrent leurs portes. Là aussi le temps joue en notre faveur. Depuis 2017 nous avons inscrit des dates dans le calendrier des communes et chaque année, nous enrichissons notre parcours de nouvelles destinations. L’objectif est bien entendu d’élargir le public, mais aussi d’offrir aux artistes le maximum de surface de contact avec ces publics. Il faut qu’elles et eux puissent jouer, jouer et encore jouer. Nous voulons à tout prix préserver l’appétit de l’audience pour les performances d’artistes en live. C’est là que le Jazz excelle, c’est là qu’il se diffuse.
Dans ce Parcours, une soirée était particulièrement attendue avec Tania de Montaigne à Cassis. Pourquoi ?
La soirée du 25 juin est issue d’une de ces collaborations fécondes avec la Fondation Camargo de Cassis. Nous avons là la possibilité d’accueillir des artistes en résidence et d’offrir au public, une expression inédite, très proche de la création. Avec des artistes comme Tania de Montaigne qui viennent d’autres disciplines artistiques que le Jazz, la diversité déploie toute son inspiration et c’est à chaque fois chargé d’émotions ou d’intelligence, ou des deux !!
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