2020 s’est mal fini… 2021 ne commence pas mieux ! Il nous reste encore et toujours les disques en attendant (désespérément) que la musique vivante puisse revenir sur les scènes d’ici et d’ailleurs.
MIGUEL ZENON & LUIS PERDOMO . El Arte Del Bolero
Miel music
Miguel Zenon : saxophone alto
Luis Perdomo : piano
- Enregistré à la Jazz Gallery, à New York, le 28 septembre dernier, cet album ne bénéficie que d’une sortie digitale. Entièrement consacré à thèmes latino-américains connus que les deux musiciens connaissent depuis toujours, cet enregistrement mérite le détour. A cheval entre la tradition et la modernité, il donne à écouter un disque parfaitement subtil, dont le calme semble flirter avec une forme de douce mélancolie. Une seule prise a suffi pour mettre en boite ce matériau musical en tout point pétri d’émotion. Miguel Zenon le dit : « Lorsque nous jouons ces chansons, nous pouvons entendre les paroles au fond de notre esprit, ce qui crée un lien très profond, difficile à reproduire dans toute autre situation. C’est vraiment au-delà du familier. Ces chansons font partie de nous. » Et ceci explique évidemment que cette musique nous ait paru à ce point naturelle, fluide et habitée. Le saxophoniste portoricain et le pianiste vénézuélien font là un sans faute impressionnant de musicalité. Certes, ces deux-là sont de sacrées pointures dont le talent est unanimement reconnu mais il nous semble que dans ce Cd ils atteignent un niveau de compréhension mutuelle assez renversant. De l’âme et de la chair, a-t’on déjà trouver mieux pour faire de la musique qui parle à tous ?
https://miguelzenon.com/
https://www.luisperdomojazz.com/
TANIA GIANNOULI . In Fading light
Rattle Records
Tania Giannouli : piano
Andreas Polyzogopoulos : trompette
Kyriakos Tapakis : oud
- Un trio hellénique enregistré sur un label Néo-Zélandais, ce n’est pas commun. Et un trio composé d’une pianiste (et compositrice), d’un trompettiste et d’un oudiste, c’est encore plus rare si ce n’est une première. La puce à l’oreille, nous avons donc plongé dans cet univers musical inconnu et nous ne l’avons pas regretté. Les compositions de Tania Giannouli sont construites sur des mélodies entêtantes, teintées de lyrisme, qui étirent le temps, le distendent. L’alliage inédit entre les trois instruments amène, lui, des textures et des résonances tout à fait pertinentes car la cohésion entre les musiciens est plus que patente. Dans cette musique très ouverte qui puise sa force dans sa contemporanéité autant que dans une veine plus marquée par la tradition méditerranéenne, chaque artiste a l’opportunité de faire circuler l’émotion en harmonie avec ses coreligionnaires. L’ensemble se révèle en tout point passionnant, que ce soit dans l’écriture ou l’improvisation. Entre cordes et souffle, la musique inspirante et fédératrice de Tania Giannouli offre une pause réparatrice à chaque auditeur qui a la curiosité de l’écouter. Et pour une fois, la photographie qui illustre la pochette est belle, sobrement évocatrice (© Savvas Lazaridis). C’est si rare…
https://www.taniagiannouli.eu/
PIECES . Generations at sunrise
Storyville Records
Palle Mikkelborg : trompette
Anton Langebaek : contrebasse
Bjarne Roupé : guitare
Benjamin Barfod : drums
- Une reprise du morceau emblématique de Jim pepper Wichi-tai-to, une autre de Naima, une mélodie du folklore suédois, un standard (Nature boy), une composition collective, voilà de quoi satisfaire les oreilles des plus exigeants. Surtout quand on vous aura prévenu que ce quartet prend de grandes libertés avec les originaux et que, de fait, ils sont bien dans la re-création et non dans l’interprétation au sens strict. Cela ne nous a pas empêché de goûter pleinement la finesse ultime de cette musique aux paysages fortement septentrionaux (vu le line-up, ce n’est pas étonnant…). Il n’en demeure pas moins que cet album vous fera sévèrement voyager dans les limbes et autres brumes telles vous pouvez les imaginer. Il faut attendre le quatrième titre, la composition collective, pour obtenir un peu plus de grain dans l’expression musicale, une matière mélodique un peu plus dense. A noter que ce morceau s’achève par un long et superbe solo de contrebasse. Le quartet de cet album réunit deux générations de musiciens et le moins que l’on puisse dire est que la greffe est parfaitement réussie. Plus, ce disque majoritairement planant et baigné d’intimité a été enregistré en public. Au vu des applaudissements épars qui ponctuent chaque pièce, le dit public avait plus que décollé… Nous aussi.
https://www.storyvillerecords.com/products/pieces-generations-at-sunrise-1013535
IVO PERELMAN TRIO . Garden of jewels
Tao Forms
Ivo Perelman : saxophone ténor
Matthew Shipp : piano
Whit Dickey
- Les trois musiciens de ce disque se connaissent mieux que bien et depuis un bout de temps. Et comme ils sont largement versés dans l’expression libre d’un jazz qui flirte avec l’illimité, la surprise et le contrepied, il leur en faut peu pour élaborer un discours spontané de haute tenue. La preuve avec ce disque enregistré en une journée de juin 2020 après qu’ils furent confinés. L’on y ressent parfaitement l’aspect cathartique d’une musique quasi expulsée par des musiciens dans l’urgence, trop longtemps claustrés et toujours en quête d’expression musicale, tout comme on perçoit la richesse kaléidoscopique d’un ensemble lié par des années de connivence. Cela ne manque pas de lyrisme, même si d’aucuns pourraient penser qu’il est un peu trop haché, mouliné, éclaté, et cela ne manque pas de fluidité, même si d’aucuns… En lutte avec les temps obscurs créés par la pandémie, le trio propose à l’auditeur une musique d’ouverture dont on peut penser, à juste titre, qu’elle possède une fonction sociale éminente en toute circonstance, et plus particulièrement en ces temps troubles où le repli sur soi (la peur) menace de faire éclater un tissu social déjà bien distendu par l’ultralibéralisme. Cette musique ne changera pas le monde bien sûr, mais au moins elle existe et peut soutenir et épauler les âmes sensibles qui serait tentées de vaciller malgré elles.
SANDRO ZERAFA . Last night when we were young
Paris Jazz Underground
Sandro Zerafa : guitare
Vincent Bourgeyx : piano
Yoni Zelnik : contrebasse
Antoine Paganotti : Batterie
- Pour bien débuter une nouvelle année, avec ou sans nouveau virus, il nous fallait écouter du jazz… jazz. Coup de bol, dans la pile de disques reçus et prêts à sortir, nous avons pêché un Sandro Zerafa (pur Malte). En duo avec Vincent Bourgeyx ou en quartet avec Yoni Zelnik et Antoine Paganotti, dans son nouveau cd plein de standards plus ou moins connus, le guitariste démontre une fois de plus un savoir-faire à toute épreuve et une sensibilité qui le place naturellement parmi les musiciens que l’on retient. Dans les titres en duo guitare / piano, lui et le pianiste tournent autour des thèmes en variant les angles et l’éclairage. Les lignes qu’ils dessinent se parent de nuances avantageuses qui s’extirpent du commun musical pour mieux fréquenter les espaces sensoriels dévolus aux musiciens lumineux. Il en va de même avec les plages jouées en quartet et l’on écoute l’ensemble du disque avec ce sentiment particulier que l’on peut ressentir en (re) découvrant un classique que l’on aurait par inadvertance oublié dans le tiroir à Cd. Comme un disque d’Herb Ellis, c’est tout de swing et de souplesse altière que rien n’arrête. Cela semble si facile que l’on oublierait presque ce qu’il faut de talent pour en arriver là. Foncièrement joyeux et paisible à la fois, ce jazz détendu donne des envies de sourire sans raison particulière… C’est cool et tendre, tout simplement. Antidote idéal à l’hiver, au virus et à administrer en perfusion à tous les neurasthéniques de la terre.
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