L’Afrique à Jazz à Vienne ? Comme à chaque édition, d’abord une histoire de communion et de transmission, des musiciens invités vers le public ou l’inverse. D’où une atmosphère particulière, hors du temps, festive, joyeuse, du bas de la scène au sommet des gradins. Et qui ne se relâche pas au fil des heures en dépit de la densité de l’affiche : Mulatu Astatke, Rokia Traoré et Youssou Ndour. Successivement. Trois musiques. Trois géographies. Trois approches qui s’épanouissent sans jamais se superposer ou se gommer.
Démarrage avec Mulatu Astatke, en vieux sage planté devant la scène. Entre lui et le public, ce vibraphone dont les volutes ont pris une place essentielle dans la musique qu’il concocte, déroutante mais familière. Croit-on : musique lancinante, sorte de mouvement perpétuel, mélangeant incantation et funk assagi. Les influences se croisent et se décroisent dans le cadre que définit une rythmique diabolisée.
Joyeux drilles s’échappant de la mélopée ambiante, saxophone et trompette partent main dans la main à l’aventure, complexifiant l’ensemble. Mulatu Astatke a l’art d’esquisser le plus simple, souvent à partir de quelques coups de mailloches.
Il laisse à sa joyeuse petite bande le soin de partir dans un monde multiple où chaque influence vient donner à sa voisine une couleur autre, inattendue : celle du violoncelle, celle de la contrebasse ou celle du leader tourné vers son auguste clavier Wurlitzer.
La musique travaille au corps, sans cesse renouvelée, échappée, au gré des thèmes.
On y perçoit une ambition d’immense liberté, pratiquée par tous, sauf les percussions priées de veiller au grain, se réinventant à chaque instant. A chacun le soin de déborder, de réinventer. Au cœur de cette déconstruction, les cordes du violoncelle, d’abord incongru, et de la contrebasse viennent prendre tout à coup une place décisive qui rajoute à la complexité réussie de l’ensemble.
Rokia Traoré : du recueillement à la danse initiatique
Arrive Rokia Traoré. Fine silhouette au centre d’une scène dépouillée mais épaulée par une formation diablement efficace pour évoquer notamment Né So (« Chez soi »), son 6ème album qui signe aussi quelque vingt années de musique à travers le monde et sans doute beaucoup plus au Mali. La jeune femme sait avec un art consommé passer du recueillement à l’explosion de joie, de la communion intime à l’invitation à la danse.
Alternant chansons aux allures de « tubes » et thèmes plus discrets, en français ou en malien, mais toujours avec la même ferveur, elle a l’art de donner à la moindre ritournelle une dimension de plus en plus mobilisatrice. Pour mieux y parvenir, la fusion de deux guitares pêchues, et d’un Ngoni (dont on ne connaît toujours pas le nombre de cordes exact) aux résonances rares, s’ajoutent à des percussions en émulsion constante et dirigées vers un seul point, celui de non-retour.
Au fil du set, la chanteuse iconique, délaisse sa guitare pour entrer à son tour dans la danse, accentuant encore cette montée rythmique si communicative. A ses côtés, Salimata, choriste et de plus en plus danseuse, transforme peu à peu la musique que distillent avec ardeur les musiciens dans une danse magnifique d’intensité et d’expressivité.
Le rappel est à la mesure de la joyeuse implication de Rokia Traoré tout au long du set, même si une heure de musique festive ne saurait faire oublier drames et tragédies. « Se laisser porter », répète-t-elle, évoquant ces chants d’oiseaux qui nous bercent.
C’en est fini. Vient alors Youssou N’Dour, en formation majestueuse, celle du « Super Etoile de Dakar ».
Au vrai, les années n’ont guère de prise sur le chanteur, déjà présent à Vienne il y a quatre ans, dont la musique envoûtante et dansante, résonne comme jamais.
A charge pour lui, pour eux, de clore cette soirée unique, bénie par le temps redevenu clément : la météo en diapason.
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