La soirée d’ouverture de Jazz à Vienne, mercredi 28 juin avait de quoi effrayer car, innovation : pas moins de quatre plateaux différents étaient proposés aux 5 500 spectateurs qui avaient pris place au théâtre antique.
Il fallait d’abord avoir du temps devant soi pour suivre cette soirée qui a débuté à 19 h 30 pour se terminer bien après minuit. Et surtout fallait-il encore que les artistes proposés soient tous à la hauteur…
Craintes injustifiées peut-on assurer à l’issue du spectacle ! Cette soirée d’ouverture a constitué une réussite car elle a été riche et a surtout proposé de superbes surprises, même si l’on peut décerner quelques bémols à la vedette de cette longue soirée : Dee Dee Bridgwater qui, accompagnée de l’Amazing Keystone Big Band n’a malheureusement pas su prolonger dans l’émotion les trois formations qui l’avaient précédées.
Le maître-mot de cette soirée fut en effet l’émotion qu’ont su d’emblée traduire sur scène la chanteuse Sarah Lenka qu’accompagnait au chant sur certaines chansons et au piano Macha Gharibian, les premières à arpenter la scène gallo-romaine.
La démarche commune aux deux femmes est de célébrer avec beaucoup de sensibilité les grandes figures féminines, les grandes chanteuses à commencer par Billie Holiday, mais sans militantisme, ne faisant vibrer que leurs âmes, les touches et leurs voix, à l’unisson du public. Une première rencontre parfaitement réussie, d’autant qu’il n’est pas facile d’ouvrir une soirée en plein jour, face à 5 500 personnes sur ce registre plutôt intimiste.
Ils furent ensuite beaucoup plus nombreux à se retrouver devant le public puisque ce duo fut suivi du Big Band Brass, une formation toulousaine de vingt-et-un musiciens dirigée par Dominique Rieux.
En l’occurrence une très jolie mécanique, bien huilée déroulant un répertoire original et surtout proposant surprise sur surprise. Via l’arrivée, comme invités de deux grands nom du saxo, Géraldine Laurent et Baptiste Herbin, deux des plus beaux stylistes du jazz français, ainsi que Gehan Mulheran, un chanteur façon crooner à l’ancienne, assez incroyable effectuant de multiples figures tant chorégraphiques que vocales, en en faisant parfois des tonnes, mais avec aplomb tel qu’il emporta le public.
A noter que la présence ce soir là de deux Big Bands (avec ensuite l’Amazing Keystone Big Band) illustre le retour en force de ces grands orchestres que l’on craignait de voir disparaître à l’instar de dinosaures musicaux, mais pas du tout : ils reviennent partout en force et c’est tant mieux, vu le répertoire dont nous a gratifié Dominique Rieux, ses musiciens et ses invités.
Cette soirée d’ouverture de Jazz à Vienne n’en était qu’à la moitié que la troisième formation faisant irruption sur scène nous gratifia de la plus forte surprise de la soirée.
Omniprésent sur la scène médiatique, André Manoukian a le don d’énerver certains. D’abord c’est un bon pianiste qui sait lui aussi laisser percer l’émotion, mais surtout c’est un artiste qui sait fédérer autour de lui les plus grands talents.
On en a eu un aperçu ce soir là avec son concert construit, disons autour du jazz balkanique ou oriental où l’on put entendre trois formidables voix bulgares (issues de Lyon, admit-il : Milena Jeliazkova, Martine Sarazin et Diana Barzeva du trio les Balkanes), en compagnie de la Viennoise Frédérique Brun de Livizz, comme cheffe de chœur. Elles emportèrent le public.
Mieux encore dans le domaine de l’émotion pure, il avait invité Daphné Kritharas, une chanteuse grecque à la voix d’une pureté exceptionnelle qui avait-il annoncé allait faire pleurer les pierres du théâtre antique. Ce ne fut peut-être pas les pierres, mais bien le public qui pleura. Le tout en étant accompagné de musiciens hors pair dont Rostom Khachikian au duduk, l’hautbois arménien et d’un entraînant Mosin Kawa au tabla.
Des moments de pure émotion, grâce à la volonté d’André Manoukian, pas cabotin pour un sou, de s’effacer pour mettre en pleine lumière celles et ceux qui l’accompagnaient dans ce voyage oriental de rêve.
Après avoir atteint de tels sommets, on ne pouvait qu’être déçu par la dernière affiche : Dee Dee Bridwater, une habituée de Jazz à Vienne.
Cette association avec l’Amazing Keystone Big Band, groupe de l’année aux Victoires du Jazz dont l’un des trois co-dirigeants est le Viennois Jon Boutellier, mettant ses pas dans ceux d’Ella Fitzgerald suscitait sur le papier un profond intérêt.
Certes, Dee Dee possède une vois superbe gorgée de swing, mais ce qui manqua ce soir là, c’est l’émotion. Ses minauderies, son chant techniquement parfait, mais sans âme, commencèrent à vider le théâtre antique ; mais au final, quelle belle soirée au cours de laquelle le public put vibrer à l’unisson des artistes sur scène.
Une bonne entame de Festival…
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